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Quand les portes de Drancy se sont ouvertes - Août 1944

Quand les portes de Drancy se sont ouvertes
Le 17 août, le consul de Suède, Raoul Nordling, annonce aux détenus du camp la fin de la terreur.

"Votre temps de détention au camp de Drancy est terminé. Vous êtes tous libres." Victoria Amon répète ces paroles lentement, solennellement. Elle avait 18 ans quand, le 17 août 1944, après avoir ouvert les portes du camp, un homme, debout sur une caisse, a prononcé ces quelques mots. Elle ne savait pas alors que le libérateur était le consul de Suède, Raoul Nordling.

A la suite de longs pourparlers, les Allemands avaient en effet accepté de lui confier ce jour-là la surintendance des prisons parisiennes. Le chef de camp juif venait d'annoncer aux détenus le départ du capitaine SS Aloïs Brunner, responsable du camp depuis le 2 juillet 1943. "Brunner lui avait assuré que ceux qui resteraient au camp en son absence bénéficieraient d'un traitement particulier à son retour", se rappelle Paul Zigmant, chef départemental du groupe Combat en Isère, transféré à Drancy le 26 avril 1943. Avec l'arrivée du diplomate suédois, il devint certain que les Allemands ne reviendraient pas. A l'extérieur du bâtiment, certains gendarmes français qui montaient jusque-là la garde encourageaient même des détenus à s'enfuir. Pour les 1 467 prisonniers du camp de Drancy, c'est la fin de longs mois d'angoisse et de souffrance. "Il y a eu des cris, des hurlements de joie", se souvient Victoria. Quelques jours plus tôt, la terreur régnait encore dans le camp : "Ils nous consignaient dans les dortoirs et abaissaient les rideaux de fer qui servaient de volets. Un bruit énorme de mitraillage et d'explosions retentissait. Des femmes en pleurs priaient à genoux. On pensait qu'ils faisaient sauter le camp avant de partir", poursuit-elle.

"Depuis le 6 juin 1944, nous attendions la libération du camp, mais on craignait tous un massacre complet", se souvient Paul Zigmant. Le bruit avait couru que tout le monde serait déporté, les immatriculations étaient prêtes. La date de l'"évacuation" avait même été fixée au 13 août puis à la nuit du 16 au 17. "C'est la grève des cheminots qui nous a sauvés, il n'y avait pas de trains pour faire partir le convoi", explique Paul Zigmant. Dans les derniers jours, la Résistance de Paris avait fait parvenir des armes aux FTP de Drancy pour que les internés puissent se défendre si les Allemands décidaient de les liquider avant de fuir. Arrêtée avec sa sœur Angèle, âgée de 6 ans, la nuit du 22 juillet 1944, Victoria Amon sait qu'elle ne doit la vie qu'au courage de l'abbé Menardais et d'Andrée Warlin : "Grâce à eux, j'ai pu présenter à la Gestapo du camp un faux certificat de baptême faisant de nous des "demi-juives" non déportables." C'était le 30 juillet 1944, la veille du départ du dernier convoi pour Auschwitz...

Prisonnier de Drancy, alors soigné à l'hôpital Rothschild, André Ullmo avait été chargé ce jour-là par le directeur allemand de l'hôpital d'accompagner Nordling. Il garde un souvenir terrible de ces hommes et de ces femmes arrachés à leurs familles, dépouillés de tous leurs biens. "Etre libres, sans carte d'identité, sans rien, c'était une farce pour eux", souligne-t-il. Pendant deux jours, les représentants de la Croix-Rouge et de l'UGIF (Union générale des israélites de France) se mobilisent donc pour organiser l'évacuation du camp, distribuer des cartes d'identité, des tickets d'alimentation, de l'argent, des vêtements. Paul Zigmant évoque une "incroyable effervescence, un peu anarchique mais très bon enfant" : "Avant ma sortie officielle, le 19 août, ma libération a été une suite de libérations. Je suis d'abord sorti voir des gendarmes hisser les couleurs juste à côté du camp, ils n'ont pas osé nous chasser. Puis nous sommes rentrés, car on ne savait pas comment ça se passait à Paris. J'avais appelé un oncle, qui m'avait conseillé d'attendre un ou deux jours, car les choses n'allaient pas très bien dans la capitale. Pour notre deuxième sortie, on a pris la camionnette et on s'est rendus à la préfecture de police de Paris, on a vu des prisonniers allemands et on a fait se lever quelques officiers SS à coups de pied dans le derrière ! On jouait aux matamores en liberté, mais on est retournés à nouveau à Drancy pour s'occuper de ceux qui n'avaient pas de famille en région parisienne. On était très heureux d'être dehors ! C'était comme si on avait dit à quelqu'un qui allait se faire fusiller : "Tu peux partir, tu es libre." Mais le souvenir de tous ceux qui étaient partis et qui n'allaient sans doute pas rentrer freinait notre joie. Et je restais très affecté par mon arrestation, qui avait été un grand échec pour moi."

Resté au camp, André Ullmo participe à l'évacuation des armes de la Résistance avec Marc Adrien Weill. "On a mis une énorme valise pleine de revolvers et de mitraillettes dans la camionnette d'un ami chauffeur à la préfecture de la Seine et on l'a ramenée dans la pharmacie qui servait de cache." En route, ils sont arrêtés par des parachutistes allemands près de la place de la Concorde : "Ils nous ont fouillés et ont inspecté la voiture, mais n'ont pas ouvert la valise. On a eu une chance incroyable."

Le 18 août, Victoria Amon et sa sœur quittent le camp dans la voiture d'une cousine parisienne. "Nous avons pu loger chez elle quelque temps, puis je suis retournée à la pension de la rue Vauquelin, qui était gérée par l'UGIF pendant l'Occupation. Elle avait été transformée en centre d'accueil pour les internés qui attendaient de pouvoir rejoindre leur domicile." A la Libération, Victoria Amon "ne pouvait pas" être joyeuse : "J'avais sauvé ma sœur, mais mes parents et mes camarades avaient été déportés. Le 25 août, les cloches sonnaient dans Paris, et tout le monde sortait pour assister au défilé, mais moi je n'ai pas pu y aller. C'était juste un épisode qui prenait fin."

Claire Planchard
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 25.08.04

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