Discours de Georges Sarre lors du dévoilement d'une plaque commémorative en hommage à Raoul Nordling
Allocution de Monsieur Georges SARRE
Dévoilement de la plaque à la mémoire de Raoul Nordling
Vendredi 14 septembre 2007
Monsieur l'Ambassadeur,
Madame la Maire,
Mesdames, Messieurs,
Le 5 septembre 2004, nous étions réunis ici même pour l'inauguration du square Raoul Nordling, au moment précis ou nous commémorions le 60è anniversaire de la libération de Paris, dans laquelle, en tant que consul général de Suède dans la capitale, il contribua si activement. Il a semblé à la municipalité qu'il était nécessaire de faire connaître à la population, et notamment aux plus jeunes de nos concitoyens, qui était vraiment Raoul Nordling, quel avait été son rôle dans ces dernières semaines de l'occupation allemande.
C'est la raison pour laquelle j'ai proposé au maire de Paris, Bertrand DELANOE, qu'une plaque commémorative soit apposée dans ce square, plaque que nous allons dévoiler tout à l'heure, en présence de Monsieur Gunnar LUND, ambassadeur de Suède en France ; de Madame Odette CHRISTIENNE, adjointe au Maire de Paris chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, de Madame Aude GUIGNARD, représentant la famille de Raoul Nordling, et Monsieur Serge HODIER, représentant Monsieur Paul FERRARI, qui est maire de CEPOY dans le Loiret, commune où Raoul Nordling a passé son enfance et où il est inhumé. Je les remercie vivement d'être venus et souhaite en particulier à Monsieur LUND, qui vient de prendre son poste, la bienvenue dans notre vie.
Si on devait résumer la vie de Raoul Nordling, on pourrait dire de lui qu'il était un grand amoureux de la France comme de Paris, et qu'il a sans aucun doute sauvé le patrimoine artistique et historique de notre ville, du saccage que préparait l'occupant soucieux de se venger d'une défaite devenue inéluctable. Retraçons brièvement sa carrière et son action.
Homme de deux cultures, Raoul Nordling naît à Paris en 1881, dans une famille venue de Suède en France à la fin des années 1870 pour des raisons liées à l'activité professionnelle de son père, Carl Gustav, qui est industriel dans le secteur du papier et dont la société travaille dans notre pays.
Raoul Nordling fait ses études au lycée Janson de Sailly, dans le XVIè arrondissement avant d'aller effectuer son service militaire en Suède. Mais cet épisode terminé, il revient en France où réside toujours sa famille et débute sa carrière professionnelle dans la société familiale. Ce n'est donc pas un diplomate de carrière, mais il est l'homme idéal pour faire le lien entre le pays dont il a la citoyenneté, la Suède et la France où il a toujours vécu.
C'est pourquoi il est nommé vice-consul de Suède en 1905, à l'âge remarquablement précoce de 24 ans, puis devient consul en 1917 et consul général en 1926, après le décès de son père.
Déjà pendant la première guerre mondiale, Raoul Nordling avait rendu d'éminents services à la France. En effet, pendant un temps long de ce conflit, la flotte allemande maîtrisait une grande partie de la Baltique, ce qui obligeait Paris à passer par la Suède pour ses échanges avec la Russie. Il avait été alors, un des Promoteurs de ce canal de communication entre Paris et Saint Petersbourg, via Stockholm. Au- début de la deuxième guerre mondiale, il avait d'abord tenté d'expliquer à la France la neutralité suédoise et en particulier l'attitude de son pays au moment de la guerre russo-finlandaise. Il essaya ensuite de dissuader l'expédition franco‑britannique en Norvège, au printemps 1940, de mettre la main sur les mines de fer situées en Laponie suédoise.
Représentant d'un pays nordique neutre, si elle lui impose une grande prudence, lui donne une certaine crédibilité pour négocier, si besoin est, avec l'occupant.
Une fois Paris occupé, en juin 1940, les ambassades s'installent à Vichy, où réside le maréchal PETAIN. Raoul Nordling, pour sa part, continue à résider à Paris et à y assumer ses fonctions de consul général. Il ne fait aucun doute pour personne qu'il est hostile aux allemands et au nazisme, que ses options personnelles le rapprochent de la-Résistance, mais en même temps, son statut de cette situation, les allemands sont conscients, si bien qu'en mars 1944, alors que la majorité de l'appareil d'État du Reich sait que celui-ci a déjà perdu la guerre, l'ambassadeur allemand en France, Otto Abetz le rencontre, désireux qu'il est de ménager son avenir en prenant des gages du côté de la Résistance. Raoul Nordling en déduit qu'il est peut-être possible d'obtenir de l'occupant, du moins de ceux des allemands qui savent la partie perdue, la libération, selon ses mots, « de tous les pauvres Français qui languissent en ce moment dans les prisons de la Gestapo ».
Aussi, en juillet 1944, alors que l'armée américaine et la-division Leclerc marchent vers Paris, il rencontre un haut fonctionnaire de l'ambassade d'Allemagne et lui conseille d’essayer de faire adopter par les autorités d'occupation une attitude plus souple vis à vis de la population civile, au moment où l'imminence de la victoire des Alliés précisément produit un raidissement des nazis les plus fanatiques et les plus anti-français.
Raoul Nordling cherche avant tout à sauver ceux qui risquent leur vie. Il obtient en particulier que ne soient pas déportées 3245 personnes détenues à Fresnes et à Romainville et promis aux camps d'extermination. Ensuite, lors de cinq entrevues qui ont lieu courant août, il entreprend de convaincre le général Dietrich von Choltitz, commandant du « Gross Paris », de passer outre l'ordre qu'il a reçu de Hitler lui-même et qui lui impose de faire sauter 62 ponts situés à Paris et en banlieue, ainsi que de détruire le-patrimoine historique de la capitale. Prenant des risques personnels énormes, Raoul Nordling n'est motivé alors que par son désir de paix et par son amour pour notre ville et culture. Choltitz, qui n'était pas enthousiaste à l'idée de dévaster Paris, n'exécuta pas les directives, et des siècles de culture française furent épargnés.
Mais ce n'est pas tout. Lorsque, le samedi 19 août, la préfecture de police de Paris est occupée par la résistance, Raoul Nordling entre en contact avec le nouveau préfet de la République qui vient de se réaffirmer comme seule autorité française légitime, et il émet l'idée d'une suspension d'armes, une trêve entre résistants et soldats allemands.
Instaurée au soir du 19 août, elle n'a jamais été respectée intégralement mais elle a permis aux résistants de se procurer des armes qui leur faisaient défaut, et par là même d'être en capacité de mener l'assaut final jusqu'à la libération complète de notre ville le 24 août.
Pendant les derniers jours de la bataille pour Paris, à partir du 20 août, Nordling et ses collaborateurs ont fait des locaux du consulat de Suède, rue d'Anjou, une sorte de campement qu'ils ne quittent ni de jour ni de nuit, afin de pouvoir faire de complexes démarches, soit auprès de von Choltitz, soit auprès des nouvelles autorités parisiennes, soit auprès de la Résistance, pour limiter les pertes humaines et hâter la victoire définitive des résistants et des alliés, qu'il cherche à convaincre de hâter leur avancée sur Paris.
Victime d'une crise cardiaque le 22Aout, il envoie son frère avec une délégation qui se rend au quartier général du général américain Bradley, à l'ouest de Paris. Après de longues discussions, Bradley donne le 22 août le feu vert à-Leclerc-pour rouler vers la capitale, et le mercredi 23 dans la soirée, ce qu'on appelé la « colonne Dronne », du nom du capitaine et futur député qui la commandait, atteint Paris, suivie par les chars de Leclerc le jeudi 24. Ce jour-là, von Choltitz se rend à Leclerc et au colonel Henri Rol Tanguy. Quel bilan peut-on faire de l'action de Raoul Nordling ? Au total, il a fait libérer 3245 prisonniers il a permis que soient épargnées des vies sauvé le patrimoine culturel, artistique et monumental de Paris, que les allemands auraient, sans sa persuasion, détruit au nom de la haine de la civilisation qui les animait. Tout ceci, il l'a fait au péril de sa vie, de son propre chef, sans instructions du gouvernement suédois, qui d'ailleurs s'opposa à la publication de ses mémoires, en 1945, mémoire longtemps restés enfouis dans un coffre de la société Nordling et qui, ayant été retrouvés en 1995, n'ont été publiés qu'en 2002, soit quarante ans après la mort de leur auteur.
Monsieur l'Ambassadeur, Mesdames, Messieurs,
L'action de Raoul NORDLING au service de la France et de Paris a commencé à être découverte en 1966, lorsque l'énorme succès du film « Paris brûle-t-il ? » fit connaître au monde entier cet homme dont le rôle était alors interprété par Orson Wells.
Ensuite ce sont les historiens qui ont redécouvert sa personnalité et retracé sa contribution éminente à la Libération de notre ville. Son action déterminante est désormais reconnue tant par la Suède que par la France, mais il importe que nos concitoyens en connaissent l'étendue. C'est la raison pour laquelle je souhaitais que lui soit rendu hommage dans un square portant son nom. La plaque aujourd'hui apposée permettra aux passants de savoir exactement qui fut Raoul NORDLING : un homme courageux, un humaniste et un grand français de coeur et d'esprit.
Je vous remercie.
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